Histoire

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Origenes

    ORIGINES

    La transformation de cet axe de l’Eixample de Barcelone en une des rues les plus luxueuses du monde fut un processus long et non exempt de difficultés. La reconnaissance arriva après les Jeux olympiques de 1992, quand le prestigieux urbaniste étatsunien Allan B. Jacobs l’inclut dans son livre sur les plus importantes rues du monde, Great streets, et lui donna le même rang que la Cinquième Avenue ou les Champs Élysées, ces derniers ayant inspiré sa création. Cependant, son trait distinctif est d’avoir réussi le parfait mariage entre le patrimoine architectural et l’offre commerciale de haute gamme. Mais commençons par le commencement, parce que le chemin n’a pas été facile.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Casa Fuster Primeros Inquilinos

    PREMIERS LOCATAIRES

    Pour comprendre sa formation, il faut voyager dans le temps et remonter à la Barcelone du XIVe siècle. Le roi Pierre le Cérémonieux dicta un privilège en 1370 qui interdisait la construction d’édifices religieux supplémentaires dans les murailles de la ville médiévale. Une de ces constructions s’érigeait alors plus ou moins où se trouve aujourd’hui la Casa Batlló d’Antoni Gaudí. C’était un couvent franciscain appelé Santa Maria de Jesús (1429). Du Portal de l’Àngel jusque là, la promenade prenait le nom de Jesús i, et de là vers le haut, camino (chemin) de Gràcia, après que ce noyau urbain se fut consolidé au nord de la ville. Le couvent allait résister à l’invasion des troupes napoléoniennes qui le démolirent en 1813. Quelques années plus tard, pendant le triennat libéral (1820-1823), à l’époque de Ferdinand VII, les autorités municipales décidèrent d’aménager le chemin, projet dont ils chargèrent l’ingénieur militaire Ramon Plana, mais celui-ci ne put le mener à bien à cause de la restauration du régime absolutiste. Le capitaine général de Catalogne, Francisco Bernaldo de Quirós, marquis de Campo Sagrado, prit la relève en août 1824.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Inicios

    DES DÉBUTS PAS TRÈS NOBLES

    Pour faire face aux frais, le roi approuva un impôt de 20 réaux de billon sur chaque porc sacrifié dans la ville. Il est donc curieux de remarquer que cette avenue si chic possède des origines si peu nobles. Mais en vérité, la taxe donna des résultats et trois ans plus tard, au lieu des cinq prévus, l’aménagement de ce chemin qui conduisait au village de Gràcia était inauguré. En 1852 on y installa les premiers réverbères à gaz. La fille de Ferdinand VII, Isabelle II, allait être chargée de placer la première pierre du projet d’urbanisme conçu par l’ingénieur Ildefons Cerdà. Ce fut le 4 octobre 1860. Le projet avait été approuvé un an auparavant et signifiait une libération pour Barcelone, jusque là emprisonnée dans les murailles de l’époque médiévale. Cela voulait dire multiplier par dix la surface urbanisable, tout un défi pour les architectes et maîtres d’œuvre. En définitive, ce fut le signal de départ qui allait jeter les bases du Modernisme.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Escaparate Lujo

    UN ESPACE DE LOISIR

    Depuis le début, les aristocrates et les bourgeois choisirent le passeig de Gràcia pour y construire leurs hôtels particuliers, car ils connaissaient déjà cet endroit de loisir et de promenade. Avant le Plan Cerdà, des espaces verts avaient été ouverts (Prado Catalán, Camps Elisis, Jardí de la Nimfa, Criadero, Tívoli, Español) pleins de restaurants et de théâtres. Ces derniers étaient en bois, puisqu’ils pouvaient être démolis par ordre ministériel. En effet, la loi militaire était en vigueur et elle interdisait de construire extramuros de la ville, à une distance correspondant à un boulet de canon, c’est-à-dire 1.250 mètres. Le Plan Cerdà allait mettre fin à toutes ces restrictions et donnerait lieu à la fièvre de la construction. Ce qui s’est passé ensuite est assez connu: les commerces les plus exclusifs allaient déménager de la rue Ferran et de la Rambla jusqu’à la nouvelle avenue dans le but de suivre les pas de leur clientèle potentielle.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Patrimonio modernista

    À LA REDÉCOUVERTE DU PATRIMOINE MODERNISTE

    Au milieu du XXe siècle, les banques gagnèrent du terrain, ce qui provoqua la diminution de l’affluence de piétons sur ses trottoirs. Après que les banques eussent déménagé ailleurs, les magasins les plus prestigieux fleurirent à nouveau. La redécouverte du patrimoine moderniste allait faire de cette avenue un lieu de rendez-vous incontournable et provoquer son inclusion dans tous les programmes touristiques internationaux. Aujourd’hui, trouver un espace sur le passeig de Gràcia est un défi que se disputent les marques les plus prestigieuses au monde. Une tâche difficile, étant donné la concurrence et la signification qu’a pour elles le fait de compter un point de vente dans cette avenue barcelonaise. Le district de l’Eixample possède la liste la plus importante d’édifices modernistes et pour sa part, le passeig de Gràcia abrite les plus reconnus d’entre eux au plan international. Cela s’explique par le fait que le projet d’urbanisme d’Ildefons Cerdà, invita les grandes familles barcelonaises à quitter les ruelles étroites de la vieille ville et à parier sur ce nouvel espace, plus ample et prestigieux. Ceux qui souhaitaient paraître à la fin du XIXe siècle devaient se laisser voir et non seulement porter les meilleurs vêtements et chapeaux, mais aussi commander leur demeure aux architectes les plus audacieux.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Artistas incomprendidos

    DES ARTISTES INCOMPRIS

    On y trouvera des œuvres d’Antoni Gaudí, Josep Puig i Cadafalch, Lluís Domènech i Montaner et Enric Sagnier. Cet échantillon architectural de premier ordre ne convainquait pas tout le monde: on arriva à le qualifier de surchargé et artificiel, au point que Georges Clémenceau, de visite à Barcelone, en voyant une telle succession de couleurs et de décorations sur les façades, demanda au chauffeur de faire demi-tour. Certains chroniqueurs de l’époque y voient la cause de son retour précipité à Paris. Quoi qu’il en soit, il ne fut pas le seul surpris par cet excès de créativité. Les écrivains Paul Morand et Evelyn Waugh, en observant la Casa Batlló de Gaudí, pensèrent qu’ils se trouvaient en face du Consulat de Turquie.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Edificios

    LA POMME DE LA DISCORDE

    Les Barcelonais baptisèrent tout ce pâté de maisons du nom de pomme de la discorde, car ses propriétaires rivalisaient en extravagance et le résultat ne pouvait être plus spectaculaire (Ndtr : manzana veut dire à la fois pomme et pâté de maisons, en espagnol). C’est le chocolatier et amateur de photographie Antoni Amatller qui ouvrit la voie. Il embaucha Puig i Cadafalch, qui commença une réforme d’une telle envergure qu’en voyant le résultat, on pense aux constructions typiques des Pays-Bas. Josep Batlló, entrepreneur du textile, lui, demanda une réforme de l’immeuble contigu à Antoni Gaudí. L’imagination de l’architecte et l’originalité de Josep Maria Jujol, son assistant, firent le reste : la façade, une des plus photographiées au monde, raconte la légende de saint Georges, saint patron de la Catalogne. Si l’on prend quelques instants pour l’observer, on découvrira le dragon, la lance et la rose. Une œuvre aussi magistrale allait être récompensée, puisque l’Unesco l’inscrivit au Patrimoine de l’Humanité. La troisième en discorde est la Casa Lleó Morera, de Domènech i Montaner. Les dommages que subit le petit temple de la terrasse pendant la Guerre Civile espagnole (1936-1939) furent réparés à la fin du XXe siècle par Òscar Tusquets, pour lui rendre son apparence originelle.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Joyas de la Corona

    LES JOYAUX DE LA COURONNE

    Un peu plus haut se trouve un autre joyau de Gaudí appelé la Pedrera ou Casa Milà, également inscrite au Patrimoine de l’Humanité. Dans son cas, la façade peut représenter les vagues de la mer, et les rambardes du balcon des algues. La terrasse surprend, d’où dépassent des cheminées qui ressemblent à des casques de soldats du Moyen Âge. Un détail qui ne passa pas inaperçu à George Lucas, qui s’en inspira pour dessiner les uniformes de l’armée de l’Empire, de Star Wars. Des éloges qui sont très loin des reproches initiaux. Les voisins du couple Milà refusaient de les saluer, car ils pensaient que leurs maisons perdraient de la valeur en étant situées à côté de ce bloc de pierre. La presse également s’en prit à elle. Certaines revues satiriques recommandaient aux locataires qui souhaitaient avoir des mascottes d’opter pour le serpent, au lieu du chien, car on connaissait déjà l’amour de l’architecte de génie pour la ligne courbe dans la distribution des espaces. Tous ces édifices sont un passage obligé pour les touristes qui visitent la ville. Beaucoup ignorent que l’avenue est pavée avec des carreaux aux motifs marins, conçus par Gaudí, qui est par ailleurs le meilleur hommage qu’on pouvait lui rendre. Les réverbères qui éclairent l’avenue sont une création de Pere Falqués i Urpí. Ils y sont depuis 1906.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Oferta Cultural

    UNE AMPLE OFFRE CULTURELLE

    Voici un exemple de ce qu’on peut trouver en se promenant et surtout en levant les yeux, un geste simple pour ne rater aucun détail décoratif des bâtiments, et qui nous permettra de découvrir une coupole métallique abritant un petit observatoire astronomique, l’Aster. L’offre culturelle est elle aussi alléchante. Au Palau Robert, tout près de la Diagonal, le Département de Tourisme de Catalogne présente des expositions. À la Pedrera aussi, l’étage noble est consacré à cette fonction. Et tout près, la Fundació Suñol dit compter la collection privée d’art contemporain parmi les plus importantes de la ville. Ceux qui souhaitent défier le sens de l’odorat peuvent le faire au Musée du Parfum. Il se trouve dans la Parfumerie Regia et compte une des meilleures collections de flacons, qui va de l’Égypte ancienne à nos jours. En définitive, tout un éventail de possibilités de loisir sans besoin de quitter l’avenue.

  • UNE VITRINE DE LUXE

    Le déménagement des grandes familles bourgeoises et aristocratiques vers le passeig de Gràcia entraîna avec elles une flopée de commerçants qui ne voulaient pas perdre leurs meilleurs clients. Depuis le départ, de nombreuses maisons y ouvrirent des succursales. En 1917, ce fut Furest –qui se vantait alors de fournir la maison royale espagnole-, en 1940, Gonzalo Comella et un an plus tard, Santa Eulalia (fondée en 1843 sur la Rambla et qui fut une des pionnières dans la célébration de défilés de mode). La maison Loewe allait faire de même au rez-de-chaussée de la Casa Lleó Morera. Le tailleur Bel, El Dique Flotante ou les bijouteries Roca et Masriera n’allaient pas rester en arrière. Tout ce processus fut interrompu au milieu des années 1950 par l’apparition des banques, des maisons de distribution cinématographiques (RKO, Warner Bros) et des concessionnaires de voitures (Cadillac, Packard). Cela provoqua une diminution du nombre de piétons, malgré la prolifération des cinémas. Et ce malgré le fait que se laisser voir sur cette artère était un rendez-vous obligé pour tous ceux qui prétendaient être quelqu’un dans la Barcelone de l’époque. Cela faisait partie des relations sociales, que cela plaise ou non.

  • LA PREMIÈRE AMENDE

    Ainsi, il n’est pas étonnant que Maria Regordesa, une dame de la haute société, lachât un “Anem a fer el merda al passeig de Gràcia” (allons frimer sur le passeig de Gràcia) au chauffeur en sortant de chez elle, place d’Urquinaona. Si l’on tient compte du mouvement qui avait lieu, surtout les week-ends, il est logique que la première amende que l’on mit dans la ville le fût sur le passeig de Gràcia. Elle fut aussi pionnière en Espagne dans le service des premiers cafés express et des panettones dans la Cafetería Milà aujourd’hui disparue. Ou du vermouth au Café Torino, dont le propriétaire, l’Italien Flaminio Mezzalama, obtint l’exclusivité après être arrivé à un accord avec la maison Martini & Rossi. Ce que fit également Raimon Colomer dans sa « granja » du coin de la rue d’Aragó, mais avec un autre produit : le yaourt. Gaudí conçut même l’intérieur des deux établissements, aujourd’hui disparus, malheureusement. L’un d’eux était le Café Torino ―celui du vermouth ―, dont son collègue Puig i Cadafalch allait décorer un de salons; l’autre, la pharmacie Gibert, située dans ce qui est aujourd’hui la place de Catalunya, du côté occupé par des grands magasins. Il faut prendre en compte qu’à l’origine, les numéros de l’avenue commençaient juste à la fin du Portal de l’Àngel, car la place était un lieu non urbanisé, alors que le XXe siècle était déjà bien entamé.

  • Passeig de Gracia Barcelona Historia Escaparate

    DES MARQUES LOCALES ET INTERNATIONALES

    Cette vitrine privilégiée a toujours été au service des clients les plus exigeants. Une tendance qui se maintient, surtout pour les amateurs de mode. À cette multitude de magasins de capital catalan, il faut ajouter les grandes marques internationales, qui peuvent attendre pendant des années le local le plus adéquat. La liste de celles qui sont déjà arrivées à installer un magasin sur l’avenue est assez significative: Cartier, Tiffany’s, Chanel, YSL, Dolce & Gabbana, Valentino, Prada, Stella McCartney et on n’en finirait pas de donner des noms. Le total des établissements dépasse 160. Plus de la moitié (65%) correspondent à des commerces espagnols, et les autres à des groupes internationaux. Ce qui est surprenant, c’est de savoir qu’un achat sur quatre effectué par des touristes extracommunautaires en Espagne à lieu ici, sur le passeig de Gràcia. Les grands hôtels se sont également positionnés dans cette rue : le Majestic, le Mandarin Oriental, l’Omm, Casa Fuster ou Comtes de Barcelona en sont quelques exemples. La plupart d’entre eux disposent de terrasses panoramiques vraiment spectaculaires, mis à part une offre gastronomique qui a été reconnue avec des étoiles Michelin.

  • UNE AVENUE EN MAJUSCULES

    Le patrimoine architectural, les expositions, l’offre gastronomique et hôtelière de plus haut niveau ou les commerces de luxe ne sont qu’une partie de ce qu’on peut trouver sur cette avenue d’un peu plus d’un kilomètre de long. C’est suffisant pour que le visiteur s’en approche, conscient qu’il répondra à ses attentes alors qu’il se promène sur une voie qui semble avoir été sculptée grâce à l’imagination des meilleurs artistes. Comme l’affirme le journaliste Màrius Carol: “Le passeig de Gràcia est aujourd’hui un exemple d’une Barcelone qui aime se faire belle pour les visites et s’offrir comme une carte postale”. En définitive, un environnement que les Barcelonais se sentent très fiers de montrer au monde. Texte: Rafa Burgos Photographies: fotosdebarcelona.com / Archivo Ortega